![]() |
![]() |
![]() |
69, Numéro érotique
Love on the beat
Par Michel Trihoreau
La chanson libertine, coquine, grivoise, paillarde ou gaillarde est la sœur siamoise de la chanson à boire pratiquée de tous temps, des pires tavernes aux plus nobles salons. Les formes en sont multiples, des plus triviales aux plus précieuses. Non, non, non, non, le vieux Eros n’est pas mort, car il chante encore !
L’amour reste cependant davantage une affaire de lettres que de chiffres. Il existe des partisans du « droit au but » qui, sans détour, expriment avec des mots simples les entreprises audacieuses que le désir leur inspire. L’un des sommets en la matière est connu de tous les carabins : « Ah ! fous-moi donc ta pin’ dans l’cul / Et qu’on en finisse / Ah ! fous-moi donc ta pin’ dans l’cul / Et qu’on n’en parl’ plus ! 3 » Papillon Paravel, dont la plume est habituellement plus délicate, atteint presque un second degré paradoxal, tant la provocation est triviale : « J’aime ton cul, j’aime les bonnes pipes, les bons culs / J’aime tes gros seins, ton petit cul, haha / T’en va pas, je commençais juste à bander ! 4 » Idem pour Souchon qui, bien qu’il s’en défende, ne craint pas de casser son image : « J’veux des gros seins, des gros culs / J’veux du cuir / Sade et Suzy Q. 5 » La langue dans l’oreille
Il est souvent d’usage, dans la chanson leste de pratiquer l’évocation, la suggestion plutôt que les mots crus. Par pudeur ? Pour ne point effaroucher ? Plus simplement par jeu, afin qu’amour et humour se rejoignent. On joue ainsi avec la rime attendue : « Et comme en chaque homme, tout de suite / S’éveille le démon qui l’habite / Le jeune homme lui sortit... sa carte / Et lui dit “j’m’appelle Jules, et j’habite rue Descartes”. 7 » Pierre Vassiliu utilise assez souvent le même subterfuge : « Connaissez-vous mon cousin / […] Je vous dirais bien où il habite / Il pourrait vous montrer sa boîte / […] N’importe quel boulot, il s’en fiche / Pourvu qu’il en ait plein les mains / Pompiste ou bien haltérophile / Tout ce qu’il veut c’est qu’on l’engage. 8 » Dranem, lors de la construction du métro parisien, se tailla un franc succès avec ses contrepèteries très approximatives : « Y a un quai dans ma rue / Y a un trou dans mon quai / Vous pourrez donc contempler / Le quai de ma rue et le trou de mon quai. 9 » Pour tromper l’oreille, le calembour offre moins de possibilités à ses auteurs, mais Adrienne Pauly, qui joue à loisir sur le double sens du petit mot, n’eût su éviter celui-ci : « J’ai fait l’amour avec un con / Un homme, un con / J’ai fait l’amour avec un con / Un con d’homme. 10 » Brandir et bander
Brandir le poing n’est pas obligatoirement un effet de la colère des masses laborieuses, ce peut être une affirmation, une profession de foi plus intime : « Même aux commandes de mon squelette / Du fond d’mon trou, je vous chanterai encore à tue-tête / Ce dicton qui veut qu’la branlette / C’est faire l’amour avec celle qu’on aime en cachette. 13 » Le sabre et le goupillon n’ont pas l’exclusivité du prosélytisme. Dresser des lois, ériger des principes ne sont pas forcément compatibles avec le moral des troupes. Dans ce cas, un sage conseil est parfois plus convaincant. « Quand plus rien ne va / […] On peut essayer de souffler dans un joli roseau percé / Jouer un petit air de flûte / Ou bien faire une petite turlutte / “Turlutte avant d’aller au lit fait passer bonne nuit”... 14 » Badinage et lutinage Plus que suggérer ou inciter, le charme discret de l’humour ou d’une fine poésie est certainement un atout de séduction efficace. La verve ouvre à l’inspiration des perspectives infinies. Dans la tradition des classiques Le Pou et l’Araignée ou De profundis morpionibus, les Wriggles nous offrent une jolie fantaisie bucolique : « Amour et Cul s’en vont par paire / Sur un petit chemin de terre / Main dans la main, le cœur joyeux / La couille dure, le poil soyeux / Les zoziaux gazouillent à tue-tête / Herbes et vaches se font des couettes... 15 » Les parangons de la chanson contemporaine se sont engouffrés dans la brèche ouverte depuis l’origine du monde, telle que Courbet la dépeint. Brassens fut inspiré par le mot de trois lettres désignant le « plus bel objet » du « tendre corps féminin » et dont il fit un Blason plein de grâce : « Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques / Tendre corps féminin, c’est fort malencontreux / Que ta fleur la plus douce et la plus érotique / Et la plus enivrante en ait un si scabreux. 17 » Léo Ferré, tenté par le même sujet, lui donne une dimension romantique : « Cette blessure / Où va ma lèvre à l’aube de l’amour / Où bat ta fièvre un peu comme un tambour / D’où part ta vigne en y pressant des doigts / D’où vient le cri le même chaque fois / Cette blessure d’où tu viens. 18 » Le registre poétique a de multiples ressources. Gérard Morel les connaît et en use avec pertinence. La rime est ici la même dans toute la chanson et lui apporte une délicieuse saveur sucrée : « On se bécote / On se dorlote / Et on se tripote / Elle est dévote / Quand j’la langotte / Là où ell’ frisotte / Et moi j’fayote / Quand ell’ suçote / Mes petit’s griottes. 19 » Tous genres confondus (et je pèse mes mots), le sujet ne saurait s’user. En la matière, on n’a pas fini de faire chorus. Rendez-vous en 2069 ! (Michel Trihoreau, dessins Michel Bridenne)
|